Dynamique spatio-temporelle des oscillations du cortex cérébral et leur rôle physiologique

Alain Destexhe
Unité de Neurosciences Intégratives et Computationnelles CNRS UPR 2191, Gif sur Yvette

 

 

 

Mise à jour : 01.12.04

 

L'activité rythmique est omniprésente dans les enregistrements électriques du cerveau humain, comme l'électroencéphalogramme (EEG), découvert il y a plus de cent ans par Caton et plus tard par Berger chez l'homme. Les premiers enregistrements EEG, réalisés sur la surface du scalp, avaient déjà mis en évidence une activité rythmique proéminente, et dont la fréquence semblait varier en fonction de l'état de vigilance. Il est à présent clair que les mêmes rythmes sont présents chez différents mammifères (homme, singe, chat, rat, etc) et ceux-ci sont classifiés en fonction de leur fréquence ; le sommeil lent est caractérisé par trois types d'oscillations : les ondes lentes (<1Hz), les oscillations delta (1-4 Hz), et les ondes en fuseau (7-14 Hz), alors que les stades d'éveil ou de sommeil paradoxal (REM) sont dominés par des oscillations rapides, dans la bande beta ou gamma (20-60 Hz).

Alors que l'aspect " temporel " de cette activité a été caractérisé depuis longtemps, l'aspect " spatial " est beaucoup moins bien connu. La raison principale est que l'EEG de scalp résulte d'une moyenne spatiale sur une étendue de quelques centimètres, ce qui représente plusieurs dizaines de millions de neurones, et donc l'aspect spatial est perdu dans cette moyenne. Il faut recourir aux enregistrements de potentiels locaux, à l'aide de micro-électrodes directement insérées dans le cortex. Pour caractériser l'aspect spatial, plusieurs enregistrements simultanés doivent être réalisés de façon à couvrir une surface suffisante pour caractériser les propagations d'activité. Ces techniques n'ont été maîtrisées qu'au cours des dernières années.

Dans la première partie de l'exposé, les différents rythmes de l'activité d'éveil et de sommeil sont analysés au travers d'enregistrements multiples réalisés dans le cortex pariétal du chat [2]. En comparant les champs de potentiels locaux avec l'activité multi-unitaire, il apparaît que les ondes delta du sommeil lent sont caractérisées par une synchronie quasi-parfaite sur toute l'étendue du cortex étudiée (7mm). Cette cohérence spatiale est également présente dans les patrons de décharge cellulaire, ce qui indique que le réseau entier est impliqué dans une oscillation lente synchronisée à grande échelle. Pendant l'éveil, et/ou le sommeil REM, les ondes beta/gamma sont caractérisées par une cohérence beaucoup plus locale, et des patrons de corrélations sont localisés dans le temps (approx. 0.5 sec) et dans l'espace (approx. 1mm). Le patron de décharge cellulaire semble aléatoire, mais une analyse fine révèle des corrélations entre activité unitaire et champs de potentiels locaux, ce qui indique que l'activité des cellules individuelles est hautement stochastique mais néanmoins corrélée avec l'activité globale oscillante. Finalement, l'analyse fine du sommeil lent révèle des périodes brèves (approx. 1 sec.) d'activité beta/gamma, qui semblent alterner avec des périodes d'ondes lentes ou delta. Ces périodes brèves ont des caractéristiques électrophysiologiques spatiales et temporelles identiques à celles des oscillations beta/gamma de l'éveil. Le sommeil lent semble donc être composé d'une alternance entre phénomènes très synchronisés, les ondes lentes et oscillations delta, et de brèves périodes d'activité de faible cohérence, similaires à l'éveil.

La seconde partie de l'exposé sera consacrée à l'étude de l'impact de ces oscillations au niveau du cortex cérébral. Les cellules principales du cortex cérébral, les neurones pyramidaux, ont été étudiées à l'aide d'une combinaison d'enregistrements intracellulaires in vivo et de modèles computationnels [1]. Pendant les oscillations en fuseau, ces neurones ont une décharge très modérée, ce qui est suprenant étant donné le haut niveau de synchronie thalamique et corticale pendant ces oscillations. Des enregistrements réalisés après injection d'ions Cl- dans la cellule, ce qui inverse l'inhibition des récepteurs GABA(A), révèlent des bouffées de potentiels d'action très puissantes. Ceci indique que les réponses modérées pendant les oscillations sont en fait causées par la coïncidence de conductances excitatrices et inhibitrices très fortes, mais qui s'annihilent en grande partie. Quelle pourrait être l'utilité d'un tel type d'entrée synaptique ? Les modèles computationnels indiquent que, suite à la distribution asymétrique des synapses dans les neurones pyramidaux (synapses excitatrices dans les dendrites et inhibitrices au niveau du soma), ce patron d'activité représente des conditions idéales pour induire une dépolarisation et une entrée massive de calcium dans les dendrites, tout en gardant un taux de décharge faible (inhibition péri-somatique). Les conséquences possibles des oscillations sont donc peut-être liées à des mécanismes impliquant le calcium, comme la plasticité synaptique par exemple.

La fin de l'exposé tentera d'évaluer le rôle physiologique des oscillations du sommeil. Différents mécanismes de plasticité synaptique qui pourraient être particulièrement affectés par les oscillations du sommeil seront considérés [4]. Les implications possibles des oscillations du sommeil dans la consolidation de la mémoire seront discutées dans le cadre d'une théorie selon laquelle les informations sont acquises de façon labile pendant l'éveil, et ensuite " stockées " de façon permanente dans le réseau cortical par les ondes lentes synchronisées. Le sommeil est structuré en périodes similaires à l'éveil, qui effectueraient un " rappel " de l'information à mémoriser ; ces périodes de rappel sont suivies d'ondes lentes synchronisées, qui seraient impliquées dans des modifications permanentes de la connectivité. L'acquisition des informations s'effectuerait donc en deux phases : une phase d' " exploration " (éveil) et une phase de " stockage " (sommeil), en accord avec de nombreuses données expérimentales et théoriques qui suggèrent un rôle critique du sommeil dans la mémoire à long terme.

En conclusion, la décharge neuronale est hautement structurée spatialement et temporellement, sous forme d'oscillations dont la synchronie et la fréquence varient selon l'état de vigilance. L'analyse et la modélisation de ces manifestations électriques permettent d'entrevoir un scénario biophysique des opérations neuronales qui sous-tendent l'acquisition de la mémoire à long terme [3].

Bibliographie
 
Articles originaux

[1] Contreras D, Destexhe A & Steriade M. (1997) Intracellular and computational characterization of the intracortical inhibitory control of synchronized thalamic inputs in vivo. Journal of Neurophysiology 77: 335-350
résumé / fichier

[2] Destexhe A, Contreras D & Steriade M. (1999) Spatiotemporal analysis of local field potentials and unit discharges in cat cerebral cortex during natural wake and sleep states. Journal of Neuroscience 19: 4595-4608
résumé / article

[3] Destexhe A & Sejnowski TJ (2001) Thalamocortical Assemblies, Oxford University Press. (à paraître en automne 2001)
résumé

Article de revue

[4] Sejnowski TJ & Destexhe A (2000) Why do we sleep ? Brain Research 886: 208-223
résumé / fichier

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