Temps et aspect en français

Laurent GOSSELIN
Sciences du langage, Université de Rouen
UMR 6065, DYALANG

 

 

 

Mise à jour : 01.12.04

 

On traitera du "temps linguistique", c'est-à-dire du temps tel qu'il se manifeste dans et par le langage, et plus précisément dans et par une langue donnée, en l'occurrence le français. Ce "temps linguistique" doit être soigneusement distingué du "temps cosmique", du "temps vécu", du "temps social", etc. . Ce "temps linguistique" entretient, bien évidemment, des relations avec les autres types de temporalité, ne serait-ce que parce qu'il permet de les exprimer, mais il ne s'y réduit pas : il a ses principes propres et ne saurait être considéré simplement comme un calque d'une temporalité extra-linguistique.

A l'intérieur du "temps linguistique", la tradition distingue le "temps", qui sert de cadre pour localiser des procès, de l'"aspect" qui désigne la structure interne du procès tel qu'il est conçu et montré. La catégorie de l'aspect se décompose à son tour en aspect lexical (correspondant au type de procès (activité, état, accomplissement ...) exprimé par le lexème verbal et son environnement actanciel) et aspect grammatical (mode de présentation du procès (accompli, inaccompli, itératif ...) indiqué essentiellement par les marqueurs grammaticaux (temps morphologiques, co-verbes, adverbes d'aspect ...). Quant au temps (la localisation temporelle), il peut être absolu (si le procès est situé par rapport au moment de l'énonciation, comme présent, passé ou futur) ou relatif (si le procès est situé par rapport à un autre procès, comme antérieur, simultané ou ultérieur).

Les modèles qui aujourd'hui essaient de rendre compte de l'ensemble de ces relations (temporelles et aspectuelles) s'inscrivent généralement dans la perspective de H. Reichenbach, qui distingue systématiquement trois moments : E le moment de l'événement, S le moment de l'énonciation et R le moment de référence. Plus récemment, on a proposé (cf. W. Klein (1994) et Gosselin (1996)) de substituer des intervalles aux points du modèle de Reichenbach. Ainsi dans le modèle de Gosselin (1996), nous admettons que les marqueurs aspectuo-temporels (morphèmes lexicaux, grammaticaux et constructions syntaxiques) codent des instructions pour construire des intervalles disposés sur l'axe du temps. Ce sont ces dispositions d'intervalles qui constituent les structures aspectuo-temporelles associées aux phrases et aux textes. On retient quatre types d'intervalles : un intervalle de l'énonciation ([01,02]), un intervalle du procès ([B1,B2]), un intervalle de référence ([I,II]) correspondant à ce qui est montré du procès, ainsi que d'éventuels intervalles circonstanciels ([ct1,ct2]). Ce dispositif permet de proposer de nouvelles définitions du temps et de l'aspect. L'aspect grammatical est défini par la position de l'intervalle de référence relativement à celle de l'intervalle du procès : ils peuvent coïncider (aspect aoristique; ex. : il mangea une poire), l'intervalle de référence peut être inclus dans celui du procès (aspect inaccompli : il mangeait depuis cinq minutes), il peut lui être postérieur (aspect accompli; ex. : il est rentré depuis cinq minutes) ou antérieur (aspect prospectif; ex. : il va pleuvoir). Le temps absolu résulte de la position de l'intervalle de référence par rapport au moment de l'énonciation :

aspect aoristique : B1 = I, B2 = II temps présent : I<01, 02<II
aspect inaccompli : B1 <I, II < B2 temps passé : II < 01
aspect accompli : B2 < I temps futur : 02 < I
aspect prospectif : II < B1  


Les instructions codées par les marqueurs indiquent des relations entre bornes. Exemple :

Passé simple : B1 = I, B2 = II (aspect aoristique)
  II < 01 (temps passé)


Au niveau du texte, on cherche à calculer les relations entre bornes appartenant à des propositions et à des phrases différentes.

Le calcul sémantique rencontre avec la polysémie contextuelle un obstacle décisif. Par "polysémie contextuelle", on désigne le fait qu'un marqueur (morphème lexical, grammatical, ou construction syntaxique) puisse prendre des significations au moins partiellement différentes en fonction des contextes linguistiques dans lesquels il se trouve. Comme ces contextes sont composés de marqueurs qui sont eux-mêmes, le plus souvent, polysémiques, on parlera de "polysémie contextuelle généralisée" (PCG) pour désigner le fait que la signification d'un marqueur puisse varier en fonction non seulement des formes, mais aussi des significations des autres marqueurs qui l'entourent (lesquelles varient aussi de semblable façon). Autrement dit, adopter le point de vue de la PCG, c'est, essayer de calculer l'interaction globale des marqueurs polysémiques dans l'énoncé, et au-delà, dans le texte.

La solution retenue pour rendre compte de cette PCG consiste à admettre que les différentes instructions codées par les marqueurs constitutifs d'un énoncé peuvent entrer en conflit, et que ces conflits sont résolus par des procédures régulières (et donc prédictibles) de déformation des structures sémantiques. Ce sont ces procédures de résolution de conflit que nous allons exposer de façon détaillée. On montrera aussi que ces mêmes procédures permettent de résoudre les conflits entre contraintes linguistiques (liées aux instructions sémantiques) et contraintes pragmatico-référentielles, dans le cadre de la construction globale de la cohérence.

Indications bibliographiques

Gosselin, L. (1996) : Sémantique de la temporalité en français. Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l'aspect, Duculot, Louvain-la-neuve.

Klein, W. (1994) : Time in Language, Routledge, Londres.

Smith, C. (1991) : The Parameter of Aspect, Kluwer, Dordrecht.

Reichenbach, H. G. (éd. 1980) : Elements of Symbolic Logic, Dover, New York.

 

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